Bonjour,

Cette semaine nous allons parler musique, cinéma, et eibohphobie. Savez-vous ce qu’est l’eibohphobie ? Non ? C’est la phobie des palindromes. Or, le nom donné à cette phobie est lui-même un palindrome ! Était-il pervers, celui qui a nommé la chose ? Ou bien avait-il envie de guérir le mal par le mal, tel un homéopathe, qui manœuvrant de petites doses du poison, allait permettre à l’individu souffrant de recouvrer la santé ? Les mots peuvent nous soigner, la musique aussi. Hiératique, elle est une « mathématique sonore », pendant que « la mathématique est une musique silencieuse ». Et si Voltaire est mort guéri, faisant chanter les mots face aux paroles toutes faites des médecins, il y a de quoi douter que ce fut le cas d’Hugues Capet, qui fut à l’origine de l’instauration de la primogéniture, où seul le fils ainé avait droit d’hériter. Il porte en lui, il condense même, les maladies d’une société, et nous fait regretter notre médecin de la culture, à la fois oriental et allemand, j’ai nommé ce grand Friedrich Nietzsche. Ce n’est pas la loi Hartz, puisqu’on parle d’Allemagne, qui va nous guérir : elle a été perçue comme ne faisant qu’accentuer des inégalités. Pour guérir, il faut de la joie. Il faut être joyeux de toutes les joies, il faut être omnibus laetitis laetum, et que cette joie déploie « un mécanisme approbateur qui tende à déborder l’objet particulier qui l’a suscité, pour affecter indifféremment tout objet, et aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l’existence en général » (Clément Rosset, La Force Majeure). Le monde à soif d’amour, Arthur Rimbaud viendra l’apaiser. Le monde a soif du vin Christique advenu lors des noces de Cana. Mais malheureusement, le Christ fut taxé de misogyne depuis ce jour-là, car à la question « Qui a-t-il de commun entre vous et moi ? » adressée à sa mère, notre société vaguement misogyne a anticipé la réponse sans laisser aucune place à la possibilité que cette réponse soit « tout ». Je pense que ce qu’a voulu dire le Christ ce jour-là, c’est qu’à partir du moment où il devenait capable de transformer l’eau en vin, il réalisait peut-être une transcendance encore plus grande que le nid dont il était parti (c’est le célèbre majores pennas nido). Il faisait un constat. Mais le Christ, c’est évidemment tout sauf le reflet de la supériorité. Sa phrase nous interroge, nous demande où nous en sommes. Et s’il fait une expérience de lui-même en relation de parenté avec ce qu’on nomme Dieu (ce que décrit l’expression « être le fils de Dieu »), ce sera évidemment à la portée de sa mère, n’en déplaise à Olympe de Gouge, qui était elle-même tombée dans le panneau de la misogynie. Je suis ce que je vois, et le reflet de nos maladies saute aux yeux. Heureusement, ma joie demeure, comme une force majeure. Je suis tellement joyeux que j’ai envie de parler cinéma, après la lecture du livre de Vincent Amiel, Le corps au cinéma. Florilège, miscellanées, morceaux choisis, comme autant de mémoires de ce livre, de réminiscences de ce qui a pu s’écrire : « Le corps s’oublie au profit de son propre mouvement (…) Il faut rendre sa chair à la lumière, et permettre au geste de n’être que lui-même (…) A partir d’une main qui caresse, d’un pied entravé, d’une poitrine qui se soulève, l’existence se déploie autrement (…) Le regard perdu s’accompagne non pas d’une maladresse, mais au contraire d’une acuité étonnante, dans une accointance plus immédiate entre le corps et le monde (…) Les trajectoires sont des ballets, et les gestes deviennent les enlacements des choses (…) Le mouvement emporte le corps, fait traverser la ville à une silhoutette agile mais invincible, à la fois plus puissante et légère, désirante (…) Ces corps racontent une histoire, comme chez Picasso ou Modigliani, et sont à la fois la cause de l’émotion et son réceptacle (…) Chez Chaplin, chez Keaton, c’est une écriture cinématographique, où le cinéma se fait narrateur, comme si le modèle était le roman. »

Je vous souhaite une semaine sans phobie, où vous guéririez le mal par le mal, et où votre manière d’être joyeux de toutes les joies vous ferait devenir une nouvelle sorte de médecin de la culture, apaisant un monde tourmenté. Une semaine où vous frôleriez une intériorité Christique transcendante, mais où pourtant vous seriez plein de révérence face à la corporéité.