Bonjour à toutes et à tous !
Cela fait une semaine que vous attendez impatiemment la réponse à l’énigme des bâtonnets. Mais pourquoi les oiseaux nocturnes ont-ils plus de bâtonnets que les oiseaux diurnes ? Non, il ne jouent pas davantage avec de jolis branchages, c’aurait été trop facile. Ils ont plus de bâtonnets, cela veut dire que leur yeux possèdent davantage ce genre de cellules que les oiseaux diurnes, parce que ce ne sont pas des cellules qui réagissent à la couleur, mais seulement à l’intensité du faisceau lumineux, contrairement aux cônes. Nous avons un seul type de bâtonnets, par exemple, et trois types de cônes. Les cônes réagissent différemment à la couleur en fonction de leur taille. Les small réagissent à la couleur bleue, les medium à la couleur verte et les large à la couleur rouge. Voici l’énigme résolue. J’espère que vous en avez profité pour muscler votre cerveau en empêchant son vieillissement accéléré, car le fonctionnement modifie la structure, et l’esprit, au moins depuis Bergson, est « une réalité capable de tirer d’elle-même plus que ce qu’elle ne contient. »
Commençons peut-être par tirer de nous-même ce que nous contenons. « Avec l’expérience que j’ai de moi, je trouve assez de quoi me rendre sage, et j’y parviendrai si j’étais bon étudiant », écrit Montaigne. Tirer de moi ce que je contiens. Nous serions tous poètes, romanciers, écrivains, si nous étions capables de cela, nous explique ce même Bergson. Les mille « nuances fugitives » du sentiment, qui sera capable de les dire, si ce ne sont eux ? « Jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe », et nous nous « mouvons » dans le monde des « généralités » et des « symboles », en nous contentant de lire les « étiquettes collées sur les choses ». Soyons poètes, romanciers, musiciens, en réussissant à dire l’unique en nous, l’unique de la palette de nos sentiments.
Après nos réflexions sur la voix de la semaine dernière, voici donc venu le temps des réflexions sur le mot : qu’est-ce qu’un mot ? Les linguistes nous disent que c’est autre chose qu’un symbole, où le lien entre le signifiant et le signifié reste encore motivé : on ne saurait remplacer le symbole de la justice, la balance, par l’image d’un char, par exemple, pour reprendre l’image choisie par Saussure. Mais « immotivé » ne veut pas dire que chacun fait ce qui lui plaît : même si « l’idée de sœur n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r, qui lui sert de signifiant » (ce qui caractérise précisément l’arbitraire du signe), Il n’empêche qu’une fois qu’on a décidé d’appeler table une table; c’est irrémédiable.
Alors qu’est-ce qu’un mot pour le commun des mortels ? C’est d’abord un plaisir pour un enfant, le choix du son « che », répété à l’envi ; c’est le plaisir de la communication et de la découverte du monde commun des mots. Chaussure, chausson, chanson, chaud, chouchou, on s’entraîne, dans ces variations sur le même thème, et on passera bientôt de chaussure à Saussure, presque sans s’en apercevoir. Pendant ce temps-là, la maisonnée s’attèle à traduire, à ne pas trahir, à parler russe, anglais italien, espagnol, à coté des enfants qui prennent leur bain de langues étrangères, et qui écoutent d’une oreille distraite, ou bien qui n’écoutent même pas du tout, la traduction du Jane Eyre de Charlotte Brontë en espagnol. Une merveille de poésie, ce roman. Les images se tissent et se défont et vous emportent dans leur univers. On pense tout de suite à la devise de Folio : vous lirez loin !
Cette semaine, je vous propose de goûter, donc, au concept des doubles activités : écouter un roman, les fameux audiobooks, pendant le ménage vespéral, qui aurait pris des allures de valse, ou de danse endiablée. Vous apprendrez ainsi que parfois les activités ne s’ajoutent pas mais se soustraient. Ce n’est pas moins par moins qui fait plus, mais plus et plus qui fait moins. Si vous voyez le temps passer en écoutant l’audiobook de Jane Eyre en espagnol ou dans votre langue préférée, pendant que vous faites la poussière ou la vaisselle, ou tout autre travail manuel, nous en serions les premiers étonnés.
A nous deux, Paris ! s’exclamait Rastignac. A nous deux, lundi ! chuchotent nos âmes conquérantes, savourant d’avance autant de délectueuses* stimulations…
* Ndlr : « délectueux » est un mot-valise, un porte-manteau word, comme les appelait Lewis Carroll, formé des mots délectation et délictueux. Rassurez-vous, il n’est pas dangereux de se faire plaisir, surtout en matière de pensée : c’est même le plus important !