Newsletter du 10 octobre 2022

10 Oct 2022 | Newsletter

De chaussure à Saussure, il n’y a qu’un pas !

Après vous avoir quitté la semaine dernière, j’ai revécu l’Eurêka d’Archimède. L’illumination m’est apparue, en prenant mon bain, c’est-à-dire dans un moment de détente, où la pensée batifole et se déploie dans ce paradoxal relâchement : de chaussure à Saussure, il n’y a qu’un pas ! Et des mots à l’eau, aussi, apparemment. Ou plutôt de l’eau aux mots, des mots qui me viennent à la bouche, et qui viennent parfois magistralement de la bouche des enfants, où l’on ne sait plus qui est qui, qui est le maître, qui est le disciple. L’enfant a dit: « J’avale mes mots et l’eau ». Nous cherchions un zeugma, il a trouvé en quelque secondes cette  jolie phrase-là. Flaubert, lui, nous parlait de celui qui, non sans ironie, admirait « l’exaltation [d’une] âme et les dentelles [d’une] jupe ». Tant que vous ne perdez ni vos clefs, ni votre raison ! Je n’oserais citer Desproges, qui d’après ses dires, avait tendance à sauter quelques repas. La suite, je vous laisse la deviner… Baudelaire s’extasie devant un divin soleil, qui « remplit les cerveaux et les ruches de miel », et qui fait « s’éveiller dans les champs les vers comme les roses ». Mais de quels vers s’agit-il ? Grâce à cette question, vous vous rendez compte que le prince des poètes n’était pas prince pour rien, parce que qui d’autre que lui pouvait écrire deux zeugmas en un seul ? Baudelaire ou encore l’art du zeugma polysémique, qui fait « s’évaporer nos soucis vers le ciel ». Ainsi, de quels soucis s’agit-il ? Des fleurs oranges ou des problèmes ? Un problème ? Pas de problème. Deux problèmes ? « Deux problèmes valent mieux qu’un » : telle sera la réponse de Nietzsche. Avec deux problèmes, vous ne pouvez sombrer dans aucun. Donc, si un jour vous avez un problème, soit vous arrivez à considérer que finalement tout va bien, soit vous vous dépêchez de courir après un ennui. Il vous reste cependant une troisième possibilité : entamer une philanalyse. Comme l’a suggéré une récente philanalysée, je vais bien aujourd’hui, c’est pour ça que j’arrête de voir mon psy,  et que j’entame la thérapie par la philosophie. Je ne veux pas aller bien, je veux aller très bien. J’ai besoin du panthéon des philosophes pour cela. J’avalerai des mots, et l’eau. Je boirai des paroles, et je vivrai d’ascèse et d’idées fraîches. Parce que d’exercices, il en est bel et bien question (je rappelle que le mots askésis, qui a formé le mot ascèse, signifie en grec exercice) : une philanalyste, ça donne du travail. A la fois théorique et pratique : c’est une praxis de la théorie. Peut-être alors, il deviendra possible de voir le divin (l’étymologie du mot théorie, theion orao, signifie littéralement cela : voir le divin).

Le temps est maintenant venu d’adresser nos plus vives félicitations à François, pour son œuvre Poèmes rupestres. Savez-vous ce que signifie rupestre ? Il s’agit d’un adjectif qui se rapporte aux roches. C’est un synonyme de pariétal. On parle souvent d’art rupestre au sens des peintures, mais moins au sens des poèmes. Alors peut-être que François va écrire sur nos murs, à l’encre blanche des « écrits qui s’envolent et des paroles qui restent », à l’encre blanche des mots qui nous trottent dans la tête, à l’encre vive des mots qui tapissent nos mémoires, sédimentées. Pariétales ? Je pense ici à un étudiant, qui juste avant de repeindre ses murs, s’était mis à y écrire toutes ses citations du cours de philosophie.

Cette semaine, la philosophie poursuit, elle, son cours, pour dire qu’il y a « un temps pour vivre, et un temps pour témoigner de vivre ». C’est ce que nous apprend Camus. Alors prenons le temps de témoigner de vivre, écrivons sur nos murs, ou noircissons des pages. Puisons l’inspiration dans le corps, dans ses racines et ses labyrinthes, dans ses méandres et ses propres soubassements, parce que le monde mental ment, monumentalement (Jacques Prévert).

La philosophie suit son cours, et comme elle n’a pas de mauvais objet, comme elle est la curiosité incarnée, je vous propose de suivre « les errances du vent », et de déambuler au hasard des disciplines, sous la forme d’autant d’interrogations.

Quelle fut la température de la première goutte d’eau qui tomba sur la planète Terre ?
Le professeur de sciences de la vie, et de la terre, répond : 300 degrés Celsius.

Avec qui Zola se lia d’une profonde amitié ?
Le professeur de Lettres nous répond : Cézanne, et croise la route du professeur d’arts plastiques.

Quel économiste nous parle de destruction créatrice ?
Schumpeter, nous répond le professeur de sciences économiques et sociales.

Qui nous parle de « ce cher hasard, qui nous guide les doigts, et dont la plus sage providence ne saurait imaginer de plus belle musique que celle qui naît alors sous notre folle main »?
Le professeur de philosophie nous répond: Nietzsche. Et la boucle est bouclée.

Votre défi cette semaine, vous l’aurez compris, sera donc de nous livrer vos Eurêkas, tout en buvant des mots et l’eau, en majestueux témoins de l’existence !