Newsletter du 17 octobre 2022

18 Oct 2022 | Newsletter

Bonjour ! Aujourd’hui, nous allons parler photographie, et nous intéresser à son inventeur, le célèbre Nicéphore Niépce. Il fut un homme obstiné. Vous l’imaginez bien, la photographie n’est pas née ex nihilo. Au même titre qu’on peut dire que l’œil a pour ancêtre les cellules photovoltaïques végétales, les daguerréotypes ont pour ancêtre les chambres obscures, et la non moins célèbre camera obscura. Laissez-moi vous conter l’histoire de cette genèse. Niépce s’était mis une idée en tête, ou plutôt avait considéré quelque chose comme possible. Possible a donc fini par signifier pour lui obsessionnel.  Il pensait que le principe des chambres obscures, qu’on utilisait uniquement pour le dessin, pouvait être utilisé pour fixer une image sur un support, ce qui constituait alors le principe de la photographie cette fois-ci. La première photographie naquit à Saint-Loup-de-Varennes à partir d’un cliché depuis la propre maison de Niépce, sur un temps d’exposition de huit heures. Le soleil effleura d’abord la partie droite de la maison que l’on voit sur la photo, puis la partie gauche. Niépce s’empressa de donner le nom d’héliographie à ce système, parce que, comme la photosynthèse qui ne pourrait s’accomplir sans le soleil, la photographie aussi lui doit tout. Niépce commença donc à s’intéresser, en digne représentant du célèbre « vouloir c’est avoir » d’Alfred de Musset, à tous les composés, à toutes les substances chimiques susceptibles d’interagir avec la lumière. Il obtient d’abord des négatifs, c’est-à-dire des substances qui étaient capables de noircir sous l’effet de la lumière, mais il souhaitait des positifs, qu’on pouvait obtenir à partir de substances capables de s’éclaircir sous l’effet de la lumière. Niépce ne se déplaça pas jusqu’en Judée, parce que l’asphalte de Judée, ou le bitume de Judée, provenant d’un lac baptisé Asphaltite, dont les eaux le laissait émerger à la surface, pouvait aussi s’extraire des roches elles-même : on savait le faire depuis le 19ème siècle. Il enduisait une plaque de cuivre, d’étain ou de verre, d’une fine couche de cette substance, qu’il mélangeait à de l’essence de lavande.Comme cette couche était capable de réagir différemment à des variations d’exposition à la lumière, la photographie était née. Niépce comprit une chose très importante : que c’est dans l’invisible que s’accomplit l’essentiel. Novice, il cherchait une interaction avec la lumière qui soit visible ; sa maturation intellectuelle emprunta le chemin de la possibilité de l’invisible. La naissance de la photographie se fit donc par étapes, et de façon tout à fait ironique, elle vit le jour par l’intermédiaire d’une série d’échecs. On a même envie de parler d’échecs en cascade. Plus que l’incarnation de l’identité entre vouloir et avoir, Niépce semblait aussi dire que « ses visions étaient faites du futur qui attend sa naissance » (vous reconnaitrez Rilke ici, et ses Lettres à un jeune poète). Comme un eurêka qui ne finissait pas de naître et de s’enfanter dans les affres des douleurs de gésine, Niépce fut nourri non de tourments mais de certitudes, principalement de celles consistant à penser que tout finirait toujours par bien se passer. Les génies, les créateurs, les inventeurs, sont-ils donc des galériens ? Si la destruction peut être créatrice (vous avez, j’imagine, retenu la leçon de Schumpeter), la création peut-elle être destructrice ? Nous nous mouvons sur le terrain des paradoxes, et savons aussi qu’on peut à la fois être un génie et faire des erreurs, ou en d’autres termes, que ce n’est pas parce qu’on est un génie que l’on ne fait pas d’erreurs.

La grande découverte de cette semaine, c’est le livre Patients, de Grand Corps Malade. Il écrit comme il respire, il chante comme il danse avec ses mots, et il écrit parce qu’il « ne peut pas ne pas écrire » : c’est pour ça que c’est beau. Il parle de l’instinct du sourire et d’un sixième sens, qu’il appelle l’envie de vivre. Il parle du monde dans lequel il a basculé, et qu’un mot désigne, qu’il n’a pas pu remplacer : celui des handicapés. Le monde extérieur se rétracte, et c’est le monde intérieur qui finit par prendre presque toute la place. Grand Corps Malade écrit comme il respire et parle comme il écrit. J’ai donc eu envie d’écouter son Roméo et Juliette, et sa réinvention de la plus célèbre phrase de Pascal, « le cœur a ses raisons que la raison ignore » :
« Il s’embrassent comme des fous sans peur du vent et du froid, car l’amour a ses saisons que la raison ignore »
« Il s’aiment au cinéma, chez des amis, dans le métro, car l’amour à ses maisons que les darons ignorent »
« Pour elle c’est sandwich au grec et cheese au McDo, car l’amour à ses liaisons que les biffetons ignorent »
« Sa princesse est tout près mais retenue sous son toit, car l’amour a ses prisons que la raison déshonore »
« Pas de fiole de cyanure, n’en déplaise à Shakespeare, car l’amour à ses horizons que les poisons ignorent »

La création, destructrice ? Non ! Mais bien plutôt le trop comme régime de l’imaginaire, Roland Barthes et ses Fragments d’un discours amoureux. Le trop comme régime de l’inspiration, et des ailes de géant qui lui permettent de marcher. Être traversé par le destin des mots, et par l’évidence de leur nécessité. Ça me fait penser à Zola, sans le sou, qui, a ses amis, disait qu’il serait riche et célèbre, lui aussi traversé, par l’éclair d’une nécessité.