Newsletter du 31 octobre 2022

31 Oct 2022 | Newsletter

Attente, quand tu nous tiens.

Le 99ème jour, le mandarin s’en fut. Sa dulcinée lui était pourtant promise pour le jour d’après, mais il avait goûté aux délices de l’attente, et préféra donc s’en aller. Rappelez-vous, l’homme préfère la chasse à la prise, c’est bien connu. Les filets du désir sont bien plus enivrants que tout ce qui pourra bien tomber dedans. L’attente est une pièce de théâtre, nous dira Barthes. On enregistre d’abord le retard de l’autre, comme une attente mathématique. Si l’on est celui attendu et qu’on arrive à ce moment là, tout se passe bien. C’est le prologue. L’acte 1 débute avec l’inquiétude : « s’est-on donné rendez-vous au bon endroit ? » L’acte 2, si ma mémoire est bonne, correspond à l’apparition de la colère. « Mais bien sûr qu’on avait rendez-vous ici. » Charles, tu parles, si tu arrives à ce moment là, c’est à une scène que tu auras droit ! A fortiori, si tu as le cœur dans la main, comme le disent les Portugais, car cela signifie que tu te livreras à cœur ouvert, sans filtrer tes propos. Mais après la colère, et ce, contre toute attente, c’est l’action de grâce, tel « Pelléas retrouvant la vie, l’odeur des roses », parce que si celui qu’on attend arrive alors que l’on ne s’y attendait plus, c’est presque une résurrection. Prenez l’exemple d’un bébé. Pour l’endormir, vous avez tout testé. Le bercer longuement dans vos bras ; mais non, il continue de hurler. L’installer confortablement dans ce qu’on appelle un porte-bébé, pendant que vous faites les cent pas. Il se met à vous regarder, comme s’il s’apprêtait à assister à une rave-party, sans la moindre once de proximité avec les bras de Morphée. Lui refaire à manger ? C’est une sorte de loterie, ça doit marcher en fonction du sens du vent. C’est donc Barthes qui a résolu les problèmes d’endormissement de notre nourrisson, et qui résoudra donc forcément les vôtres (parce que c’est lui, c’est aussi moi -je dirais même plus-, qui ne dort pas. Je me débrouille donc pour arriver à l’acte trois. J’arrive au moment où il ne m’attendait plus, et il devient « Pelléas retrouvant la vie, l’odeur des roses », caressé par la douce main salvatrice et effaçant tous les pleurs, de son cher papa. Quand on vous disait que le cœur avait ses saisons… Les bras de Morphée deviennent donc les bras de la fin d’une attente, les bras d’un au-delà de l’attente, d’un dépassement de l’espérance, d’une dés-espérance, et lové dans le creux de la fin de l’attente, alors que l’on ne s’y attendait plus, bébé s’endort, sans plus attendre. J’ai moi aussi été le mandarin dont parle Barthes. J’ai beaucoup attendu récemment, jusqu’à la date fatidique, pour me rendre compte que je m’étais délectée d’attendre, au moins tout autant que de la date fatidique, si ce n’est plus (je suis donc un mandarin quelque peu revisité). J’ai le cœur dans la main, je joue comme si j’étais seul, ou bien je joue pour un seul, je ne sais plus. Je ne suis plus sensible ni à l’éloge, ni au blâme, car je surfe sur la corde souple, d’un nouveau nirvana. Ma vie telle que je voudrais qu’elle soit fusionne, est comme happée, avalée, par ma vie telle qu’elle est. Je crois que le nirvana, c’est ça. J’ai écouté la leçon de mon vénéré maître Shri Shankaracharya. Comme le Petit Prince, je me dis que certaines grandes personnes sont étranges sur cette planète Terre, qui a pourtant bonne réputation. Ils boivent peut-être eux aussi pour oublier qu’ils boivent, pendant que d’autres jouent le perfectionnisme jusqu’à la folie. Le futur s’écrit dans le passé, s’inscrit dans le passé, à l’encre rose et bleue de rêveries prémonitoires, réitérées, dans un éclair de vérité, sur le point de nous foudroyer.

Je vous souhaite une semaine magique et métaphysique, féérique et merveilleuse, coraçao nãs mãos, où vous vous délecteriez vous aussi de l’Attente, plongés dans cette expérience surnaturelle qu’on appelle la vie.