Newsletter du 14 novembre 2022

14 Nov 2022 | Newsletter

Bonjour !

Je me permets de vous poser cette fameuse question –That is the question ! aurait-on presque envie de dire : « Comment allez vous ? » Avez-vous glissé cette dernière semaine sur les événements de la vie sans en garder rancune, ce qui d’après Stendhal, serait typiquement français. Dans la Chartreuse de Parme, il compare les caractères des Italiens à celui des Français, et en vient à la conclusion que : « le Français est sans doute le plus heureux. Il glisse sur les événements de la vie et ne garde pas rancune. » Mais pourtant, c’est bien un Français, né à Saint Malo le 4 septembre 1768, qui nous parle de son aversion pour la vie, pour cette vie que sa mère lui infligea, pour ce nom qui fut presque toujours traîné dans le malheur. Alors, qui est-il, cet écrivain qui se dit d’ailleurs presque mort quand il vint au jour, et dont le mugissement des vagues a recouvert les cris ? Il semble dire l’inconvénient d’être né. Mais j’imagine que pour vous, la semaine passée, les incidents ne sont pas tombés comme à Gravelotte, parce que même si nous nous étions souhaité une semaine riche d’Histoire en tous genres, j’ose espérer que vous n’avez pas été assaillis de vicissitudes. « Tomber comme à Gravelotte », vous ne connaissiez pas ? En général, cette expression s’emploie pour parler du mauvais temps, il pleut des hallebardes, voilà ce que cela signifie. Ces expressions sont un peu du même acabit. Il nous faut remonter jusqu’à l’année 1870 pour comprendre vraiment de quoi il s’agit. Lors d’une bataille entre l’armée française et l’armé prussienne, quelques journées en août, du 16 au 18 août, plus précisément, les balles et les obus n’en finissaient pas de tomber, et c’est ainsi que l’expression est née, au cours de la bataille de Gravelotte. Cette bataille a été baptisée Saint-Privat du coté français, et c’est seulement du coté allemand qu’on l’a appelée bataille de Gravelotte, les deux villages étant côte à côte. Alors, si les événements négatifs ne se sont pas succédé à une cadence d’essuie-glace, et ne sont pas tombés comme à Gravelotte, vous avez tout pour être heureux ! Et quand bien même la loi des séries se serait abattue sur vous, le bonheur étant tout à fait déraisonnable, c’est-à-dire au-delà des raisons, vous avez encore tout pour être heureux ! Lisez La force majeure de Clément Rosset, et vous découvrirez cela, si ce n’est pas déjà fait. Omnibus Laetitis laetum, joyeux de toutes les joies, on le voit bien ici, l’au-delà des raisons. Le cadeau que je reçois révèle le degré de bonheur que je porte, plutôt que de me faire plaisir, nous explique ce même Clément Rosset. Le trop, régime comme vous le savez de l’imaginaire, semble ainsi devenir aussi celui de la félicité, et c’est alors qu’on pourra découvrir la coïncidence. C’était un cadeau auquel vous ne vous attendiez pas, mais pourtant fait pour vous, vous ne pouviez pas mieux tomber. Quel beau cadeau, vous exclamez-vous alors, en vous réfléchissant dans le miroir des autres, et la beauté, cette frivolité sérieuse, c’est bien ce qui reste quand toutes les autres sont passées. Je ne peux vous révéler ici l’auteur de cette phrase, car c’est celui qu’il vous faut rechercher. Se réfléchir en l’autre, comme une salvatrice direction, parce que se réfléchir en soi nous ferait sombrer. Narcisse a une main plongée dans l’eau dans le tableau du Caravage, et s’apprête à accomplir sa destinée, ou la condamnation de Némésis. Ce n’est pas la seule fois où ce grand maître représenta des scènes mythologiques (tout le monde connaît le célèbre Bacchus, par exemple). Narcisse se noie dans son reflet, pendant que le Caravage nous montre que le peintre est un magicien qui joue entre l’illusion et la réalité, et j’ai presque envie de dire, qui se joue de l’illusion. Pourquoi ? Parce que Narcisse et son reflet forment un cercle presque trop parfait, comme pour mieux dire, en écho au genou aussi central qu’illuminé, la spirale qui est en train de le happer. Comme d’habitude, le Caravage n’avait rien dessiné au crayon, il avait peint de but en blanc, d’un seul jet, dans ce culte de la spontanéité, comme une manière de dire qu’être au sommet de son art, c’est faire comme bon nous semble, sans étape préparatoire. Peindre comme on respire, ou la peinture comme une physiologie. Le Caravage prenait cependant un couteau, en laissant quelques incisions sur la première couche picturale, suggérant peut-être ainsi la violence de la création. Narcisse a des habits d’époque, des habits du 16ème siècle, et non ceux de l’Antiquité : un pourpoint, un corselet, sur lequel on voit apparaître des motifs de fleurs.

Je vous souhaite une semaine aussi violente que l’art, aussi illusionnante que l’art, par-delà bien et mal ; mais comme tout revient certainement à son contraire, dans les hautes sphères, dans les sphères absolues, j’ai aussi envie de vous souhaiter une semaine aussi douce que la création, aussi vraie que son éternité.