Newsletter du 21 novembre 2022

21 Nov 2022 | Newsletter

Apotropaïque, vous avez dit apotropaïque ?

Il paraît que Le Caravage avait peint Méduse pour conjurer le mauvais sort, parce que le personnage condamné par Persée avait lui-même des pouvoirs apotropaïques. Le Caravage avait peint deux tableaux identiques, sur une toile de lin recouvrant un petit bouclier, et un autre plus grand. On s’est souvent demandé comment il avait fait pour reproduire exactement à l’identique le visage de cette seule mortelle parmi les trois Gorgones. Était-ce le fruit de sa virtuosité ? Ou bien s’était-il servi d’un support de verre, qui éclairé par une lanterne, pouvait laisser la place à une projection agrandie ? Toujours est-il que c’est le second tableau qui fut très vite le plus connu, celui qui est aujourd’hui conservé au Musée des Offices à Florence, et qui fut d’ailleurs victime d’un attentat causé par la mafia sicilienne. Il fallut 250,000 Euros pour le restaurer, dont 65,000 provenant des visiteurs du musée. Cette restauration s’achevât en 2002. La toile avait eu un commanditaire : comme d’habitude, il s’était agi du Cardinal Del Monte, qui voulait l’offrir en cadeau à l’un de ses amis, un Médicis. Mais pourquoi deux toiles alors ? La question reste entière. La première était-elle un essai ? Elle n’a pas vraiment l’air d’une esquisse, mais plutôt d’une œuvre accomplie. Le Caravage voulait-il la garder pour lui, pour les fameuses vertus apotropaïques ? Elle était pourtant signée, ce qui voulait peut-être dire destinée à sortir de l’atelier. Aura-t-on jamais la réponse à ces questions ? Certainement pas. Le visage de Méduse est légèrement tourné vers la droite, il hurle son chant de mort, son elegeia, puisque telle est la signification du mot grec qui a donné le mot élégiaque, évidemment. Le Caravage a souhaité peindre sa mort, hic et nunc, juste après avoir été tuée par Persée. Il aimait cet esprit sur le vif, même si ce vif est la mort. Méduse, morte ou vive, abritant des serpents à demi vivants, dans un superbe effet de trompe-l’œil. Le Caravage, ou une « moisson d’images », en miroir parfois, puisque certains affirment que cette Méduse est aussi son autoportrait. C’est l’œuvre la plus complexe du Caravage, comme un sable mouvant dans lequel on ne cesse de sombrer. Saviez-vous que Victor Hugo avait lui aussi produit sa « moisson d’images », sous la forme de dessins à l’encre, bien moins connus que Les Misérables, ou que Notre-Dame de Paris ? Victor Hugo, lui, depuis ses quatorze ans, il voulait être Chateaubriand ou rien. Il a provoqué Sainte-Beuve en duel, parce qu’il était l’amant de sa femme, et il a partagé avec son fils Charles la même maîtresse, Alice Ozy, de son vrai nom Marie-Justine Pilloy. C’est par les journaux qu’il apprendra le drame de sa fille Léopoldine. A partir de cet instant, la Fontaine de la création s’assèche, se coupe brutalement, et presque volontairement, comme un hommage. Comme chacun sait, elle est morte noyée sur cette planète bleue qui est tout de suite devenue la nuit noire de l’âme de son père.

Cette planète bleue, elle est recouverte de 71% d’océans, et de glaces qui fondent dans l’océan Arctique, ce qui donne tout bonnement l’idée à certains pays de se disputer avec son voisin pour savoir à qui appartient le morceau d’océan ainsi découvert… Ou comment une catastrophe écologique devient en un tour de main une opportunité économique. Pourquoi comptes-tu les étoiles, demande le Petit Prince ? Parce que je les possède, répond l’homme sérieux. Saviez-vous que 400 câbles sous-marins assurent la transmission de 99% de nos données numériques ? Et que lorsque vous émettez un virement bancaire par exemple, celui-ci a lieu dans les bas-fonds marins ? Il y a une vie avant la mort, après la mort, il y en a aussi une dans les profondeurs abyssales, inconnues et mystérieuses, et dont l’homme revendique la possession, comme l’homme sérieux du Petit Prince revendique celle des étoiles.

Je vous souhaite une semaine riche de l’absence de possession, débordante d’ambition, parce que ça ne sert à rien d’être qui que ce soit d’autre que Chateaubriand, et aussi fluide et rapide que les données transitant par les câbles des abysses !