Newsletter du 13 février 2023

13 Fév 2023 | Newsletter

Bonne semaine à vous tous !

« Je suis le parfum, vivant et défunt, dans le vent venu ». Et cette « ceinture vagabonde fait, dans le souffle aérien, frémir le suprême lien de mon silence avec le monde ». C’est une plongée dans des effluves comme on écoute une musique, comme un « chant d’arômes », où les notes créent ensemble l’harmonie ou la disharmonie. C’est une orchestration, avec un tapis de vanille moelleux, duveteux, rond et tendre, pendant que l’anis et les épices apportent le contrepoint, et presque désobéissent. Ce sont des notes aiguës ou graves, « des parfums corrompus, riches et triomphants, ayant  l’expansion des choses infinies, et qui chantent les transports de l’esprit et des sens ». C’est un monde invisible, inaudible, une partition où l’on peut reconnaître le maître, la patte, la signature. Les meilleurs nez savent reconnaître les odeurs à leur forme. Ils ferment les yeux : une forme tubulaire apparaît, ou bien une forme pointue, ou bien les formes rondes dont on parlait tout à l’heure. Ils ferment les yeux et des couleurs leur apparaissent, orchestrées elles aussi, et la partition olfactive devient une partition oculaire, où le vert émeraude se mélange à un blanc éclatant, qui au fur et à mesure se transformera en jaune, en bistre, jusqu’à devenir marron. Je me souvient d’un marchand de thé qui fut initié à ce langage des couleurs, et qui se dit qu’il allait pouvoir aiguiller ses clients à travers une palette, dorénavant. Bonjour monsieur, vous, je crois, vous aimez le bleu. De là à aller se demander si cette personne est attirée par le cubisme, il n’y a qu’un pas. Un pas qui nous conduit à Avignon, vers des Demoiselles nues. On est au début du 20ème siècle, c’est un pas qui nous pousse vers Picasso. Des corps recouvrent tout le décor. Les visages ne peuvent s’envisager, ils sont comme avalés par ces corps morcelés, offerts à nos regards. On est loin des profondeurs abyssales de ce genou circulaire voué à se dévorer lui-même, comme dans cette peinture du Caravage que nous avions déjà évoquée. Mais cette dévoration, elle a peut-être lieu précisément parce que « les histoires sucent le sang des images », comme le déplore Wim Wenders. Le mythe de Narcisse est un comte aux dents longues, qui empêche presque toute représentation. Il est peut-être aussi difficile de peindre un mythe que de décrire un parfum. Alors pourquoi ne pas tenter l’impossible ? Oublions que c’est impossible, faisons-le. Je suis un parfum orange comme une bergamote, entouré de feuilles de cassis et de feuilles de violette. Mon cœur est d’absinthe, d’anis, de romarin : je suis aussi délicat que la rose et le jasmin. Mais ne vous y trompez pas, un lit de cuir et de vanille vous attend, recouvert d’héliotropes. Je suis poudré et délicieusement dissonant, je suis gris, exquis, « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ».

Je vous souhaite une semaine « olfactivement vôtre », où vous porteriez les couleurs d’un parfum, comme autrefois on portait les couleurs de quelqu’un, lorsqu’on en était amoureux, comme Chérubin arborant les couleurs de sa comtesse.